Lezing van Lucien Kroll, uitgesproken tijdens de themadag op 31 oktober 2003 in Oranjewoud
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LE TEMPS-OUTIL D’ARCHITECTURE

 
Dans le processus fondamental moderne de la mobilisation, laquelle entre-temps a tiré à elle tout le train du monde, on peut distinguer trois tendances ou trois groupes de tendances élémentaires. Le grand automouvement vers plus de mouvement s’accomplit, premièrement comme tendance à la motorisation, à l’installation d’unités processuelles automatiques et à l’accélération continuelle de celles-ci (tachocratie) ; deuxièmement comme tendance à l’allègement, à l’analgétisation et à l’élimination des fonctions du sujet trop sensibles, trop lentes et trop orientées vers la vérité (automation par la désensibilisation ou l’élimination du contexte) ; troisièmement, par la suppression progressive des distances et des impondérabilités en concomitance avec l’appropriation stratégique de ce qui est étranger (logistique).
Dans ces trois complexes d’exécution, le monde, ressource inerte jusqu’ici, est aménagé, codé, rendu immédiatement consommable et déréalisé pour des sujets automobiles du système.
 La déréalisation est le résultat psychosocial de « l’auto réalisation »  systématique dans laquelle le concept désuet de « réalité » se rétrécit logiquement à la fonction résiduelle du non-encore-mobilisé. Les déconstructionnistes américains se chuchotent depuis quelques années cette nouvelle à l’oreille : « there is nothing outside the text » (Derrida) seuls, les naïfs s’accrochent encore à la notion antédiluvienne du « référent extérieur ».
 Même épistémologiquement, le court-circuit entre la cinétique et la sémiotique est en vue – le monde est logiquement mûr pour sa volatilisation.

Peter Sloterdijk, la mobilisation infinie, Christian Bourgois.

Une 3e (4e ?) dimension dans l’architecture et l’urbanisme ?
Les traces du temps d’un projet sont furieusement effacées : il doit se présenter comme s’il avait été établi d’emblée, sans hésitation, sans retour en arrière, sans incertitude : éternel.
Pire qu’éternel : dans l’ignorance du temps, passé et futur. Même le présent est absent puisqu’il fuit toutes les heures pour devenir aussitôt passé.
L’architecture  moderne est n’est pas faite pour vieillir : les pyramides sont son exemple... Des ruines modernes sont honteuses d’elles-mêmes : de coquettes veillies avec des rides mal masquées. Elle ne se fait photographier que juste après la finition du chantier et surtout avant que les habitants et les usagers ne viennent tout abîmer avec leurs apports de mauvais goût.
On ne revient jamais sur une archi moderne vingt ans plus tard : elle a perdu sa jeunesse et ce que l’âge a pu lui gagner est méprisé et caché. Il faut lui rendre son aspect neuf, éternellement.

À Cergy-Pontoise,

Nous avons comprimé une longue période de vieillissement en deux ans d’études. Pour la 1ère phase, de 47 logements, nous avons vu défiler plus de cent cinquante familles actives. Elles quittaient, d’autres arrivaient mais nous n’avons jamais voulu effacer les traces de l’habitant précédent. Malgré le promoteur qui exigeait un « produit frais » à chaque départ.
Une famille nombreuse antillaise se dessinait une maison de six chambres à coucher et deux ou trois salles de bain. Elle voulait à tout prix une toiture « alsacienne » en forte pente : nous la lui avons dessinée.  Puis le mari qui travaillait à Air France, a été nommé dans un autre continent. Le promoteur presque triomphant, nous a dit : « Cette fois-ci, il faut du neutre, c’est un chameau ». Quelques réunions plus tard, un nouveau venu a aperçu ce modèle de loin, sur la grande maquette et a dit » Oh ! Le joli pavillon ». Il l’a réservé, a un peu changé les salles d’eau et les chambres, laissé la toiture telle quelle et a été y habiter, heureux. Les objets moyens n’intéressent que les gens moyens.
L’ensemble a subi deux ans de participation chaotique : les traces équivalant déjà à une longue période historique. Certaines rencontres ont été oubliées, certaines formes ne sont plus explicables : elles proviennent d’une série désordonnée de décisions, chacune avec son importance mais sans suite logique dans son ensemble. N’importe quel architecte moderne aurait corrigé tout ça pour « mettre de l’ordre » et aurait perdu cette profondeur et cette surprise continue, quasi-impossible à créer artificiellement.

revisiter
On m’a demandé de conduire un groupe d’Italiens écologiques venus en France visiter des réalisations. Vingt-cinq ans plus tard, notre quartier était devenu « adulte » : la végétation avait librement rempli tous les espaces utiles. Quelques habitants nous ont reconnus : entre autre l’une me montrait avec fierté son néflier que Simone avait fait planter à un endroit précis.

John Habraken
Le « Charles Darwin de l’architecture »… C’est un des seuls à avoir pris le temps comme raison de création de formes.
En urbanisme, la commande suppose toujours UNE solution, très rarement un processus étalé sur quelques années et forcément, équipé de quelques variantes qui tiennent compte de l’évolution et de l’usure du temps.

expériences
Nous avons magistralement perdu un concours à Allonnes-Le Mans dans  une consultation appelée « projet de définition ». Cette procédure demandait aux participants de garder un rôle non-concurrentiel et d’imaginer très librement des « possibilités » de réhabilitation d’une partie de quartier.
Avec l’aide de notre ami anthropologue Arlindo Stefani, nous avons pu questionner plusieurs fois un groupe d’habitants et ainsi imaginer d’abord la grande diversité de souhaits et de besoins et donc l’impossibilité de réduire ce foisonnement à un modèle monolithe. Notre projet, basé sur l’expérience de nombreux projets et tentatives se divisait en deux entités : d’abord, ce que le paysage suggérait tacitement par ses caractéristiques et ses formes générales ; ensuite ce que les participants proposaient par rapport aux besoins visibles, émis officiellement ou devinés par les habitants ou par nous.
Nous avons mis au point une série (toujours incomplète) de « composants », d’interventions caractéristiques qui recevaient un dessin, une étude de faisabilité, un faisceau de variantes dans chaque composant, des endroits ou des situations où ce composant s’installerait de préférence, etc.
Notre liste était rationalisée dans son organisation, sa nomenclature, ses compatibilités avec l’existant et avec les autres composants, dans sa cartographie mobile, etc. Nous voulions confier cet outillage aux politiques et aux responsables pour qu’ils décident de l’endroit, de l’intensité, du calendrier et des positions de chaque composant. Les politiques étant les décisionnaires sentimentaux donneraient un « désordre d’opération » et un ordre profond de respect d’une société sur place.
Certains, enthousiastes, avaient fort bien compris mais les poids lourds du jury ont gagné et ont imposé un projet plutôt « cuirassé Potemkine » fait pour écraser de respect les habitants, les faire taire et ainsi, tranquilliser les « normopathes » habituels.
Le temps est l’ennemi personnel du concepteur « moderne » : son angoisse interdit tout changement, toute initiative, toute liberté hors de sa définition définitive (est-ce un pléonasme ?).

Berlin-Hellersdorf
Nous avons gagné le concours de Berlin-Hellersdorf sur un processus de participation longue. Tout d’abord, de recoudre certains blocages de communication, au fur et à mesure de la prise de conscience des promeneurs. Ensuite, d’appliquer un processus de participation continu. Une équipe d’urbaniste et sociologues rassemble les projets désordonnés proposés par les habitants, elle les propose à la bureaucratie municipale et aux architectes qui les rationalisent en « composants » constructibles et compatibles entre eux et avec la situation existante, mais surtout, sans aucunement en modifier le désordre. Puis cela se réalise non pas d’après un plan de bataille ou le chantier commande la géographie mais une situation sociale ou l’urgence et l’importance des habitants dessine l’ordre d’urgence.
Une colonne de loggias s’était effondrée, nous avons proposé de la remplacer par une structure un peu irrégulière et par une participation des habitants de cette cage d’escalier : ils sont venus créer leurs propres balcons avec des éléments rationalisés et très variés que nous leur avions préparés. J’ai proposé de construire cet ensemble comme une œuvre d'art collective et populaire.
Ils n’ont pas eu le courage de le faire…

Le jeu du village.
Dans un T-group on organise parfois le test du village : distribuer des maquettes d'immeubles (maisons, mairie, église, ateliers banque, etc)  suscite des attitudes psychologiques révélatrices et inavouées.
Pour nous, la différence est que ce même exercice apparemment anodin, nous voulons l'utiliser très sérieusement à constituer un projet réel de construction de quartier. L’attitude est la même : respect des différences, des rythmes, des cultures, etc.
Un jour, l’un d’entre eux nous a demandé solennellement  : Monsieur l’architecte quand allez-vous procéder à la distribution des lots ? ». « Mais faites donc comme chez vous ». Ils se sont alors précipités sur le plan du terrain pour marquer leur lot et le signer. Se relevant, ils se sont moqués les uns des autres, chacun était certain d’avoir « choisi le meilleur emplacement ». Et il n’y a pa sue de conflits: ils se sont étonnés de leur diversité…

Louis Guillaume Leroy comme jardinier municipal ?
Les paysages se faisant eux-mêmes, les paysagistes officiels sont les seuls qui ne font jamais de paysage. J'avais déclaré ceci lors d'une conférence à l'École du Paysage de Versailles : je n'y ai plus été invité...
Le lierre qui grimpe et recouvre une face de l’édifice est un symbole de connivence avec cette nature non domestiquée (le lierre est le seul matériau qui, lentement,  n’obéit jamais à l’architecte) : c'est une fête lorsqu'il atteint la corniche. Les normopathes humiliés veulent absolument le tailler, le contraindre dans une forme, le discipliner ou l'anéantir : j'en ai vu qui projetaient sur les façades couvertes, des tue-herbes violents (agent orange pour le VietNam ?) : c'est maladif.

Au jardinier, le rôle de protéger.

L. Kroll


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